4.2 Quelques applications cliniques
Nous avons précédemment présenté les fondements théoriques desquels une intervention féministe devrait s'inspirer. Les résultats obtenus par notre étude du désir sexuel féminin nous permettent de suggérer certaines applications cliniques. Nous tenterons de démontrer, par ces applications, comment une intervention féministe pourrait améliorer la situation du désir sexuel chez la femme.
Nous avons déjà signalé que les fondements théoriques avaient été élaborés afin de répondre de façon conséquente aux problèmes que soulevait l'analyse féministe d'une réalité donnée. Nous croyons qu'une intervention féministe, s'inspirant de ces fondements, serait celle qui répondrait de façon plus adéquate aux difficultés que nous avons identifiées quant à l'expression du désir sexuel féminin.
Expliquant les fondements théoriques de l'intervention féministe, Corbeil et al. y précisent aussi les objectifs que chercherait à atteindre l'intervention féministe. Ces objectifs seraient transposables à l'intérieur d'une démarche thérapeutique privilégiant la résolution des difficultés sexuelles vécues par les femmes. Ne faisant pas référence spécifiquement à une démarche thérapeutique centrée sur une difficulté sexuelle, Corbeil et al. croient que les objectifs à atteindre pour la femme seraient les suivants: croire en elle-même, exprimer ses besoins et ses désirs, prendre des décisions de façon autonome, se donner le droit au plaisir et arriver à un changement individuel ainsi qu'à un changement social.
De façon plus précise, la femme devrait apprendre à croire en elle-même en ne se définissant plus en fonction de l'idéal féminin. Elle devrait aussi être amenée à oser exprimer ses propres besoins et ses propres désirs. De la même façon, elle aurait aussi à être encouragée à prendre des décisions autonomes en utilisant son propre jugement. Enfin, la femme devrait être amenée à sortir des modèles normatifs et limitatifs de ce que serait sa sexualité, et nous croyons de son désir sexuel, pour parvenir à une vision personnelle de celle-ci. Éminemment axé sur la sexualité des femmes, ce dernier objectif inviterait la femme à accepter son corps, à le découvrir et à se réapproprier les deux facettes voire les deux images de femmes sexuelles de sa sexualité. Nous croyons que ces objectifs visés par l'intervention féministe seraient transposables dans une démarche thérapeutique sexologique.
Les résultats de notre étude nous ont permis d'identifier six facteurs particuliers associés au désir sexuel féminin. Par l'étude de ces facteurs, nous avons observé que la femme était confrontée à des modèles présentés socialement quant à ce que devrait être une femme et mise en présence de balises entourant l'expression de son désir sexuel.
Par les applications cliniques proposées, nous croyons que l'expression du désir sexuel de la femme se trouverait améliorée. Nous sommes d'avis que ces applications cliniques permettraient à la fois de répondre aux objectifs visés par l'intervention féministe et d'être une réponse conséquente aux difficultés sexuelles rencontrées chez nos sujets. Les applications cliniques sont les suivantes:
- -Développer le désir sexuel propre à chacune des femmes en reconnaissant que l'inhibition de leur désir serait en partie engendrée par le sexisme.
- -Favoriser l'expression de leur désir sexuel en identifiant l'apprentissage de leur rôle, de leur féminité et de la sexualisation de leur corps.
- -Faciliter l'émergence et l'épanouissement de leur désir sexuel en identifiant les avantages et les bénéfices qu'il y aurait à voir leur désir sexuel défini par l'autre.
- -Encourager leur droit à l'expression de leur désir sexuel en le dissociant de l'amour.
- -Cultiver leur pouvoir de changement en leur faisant conscientiser leur rôle dans le processus de la sexualisation de leur corps et de leur socialisation.
- -Déculpabiliser chacune des femmes en situant leur problème personnel en tant que malaise collectif face à la sexualité des femmes.
Concernant le désir sexuel des femmes, nous croyons qu'il serait important que soient reconnus les aspects du contenu de leur désir sexuel qui serait engendré par le sexisme. Cela permettrait d'identifier les éléments de leur désir sexuel qui leur ressembleraient le plus. Pour que leur désir sexuel naisse, elles doivent reconnaître ce qui, dans leur désir sexuel, aurait été inculqué par l'autre. Nous croyons qu'ainsi, elles seraient en mesure de déployer et de développer le désir sexuel qui serait vraiment le leur.
Par ailleurs, nous pensons que de permettre aux femmes d'identifier quels furent leurs apprentissages face à leur rôle de femme, à leur féminité et à la sexualisation de leur corps, constituerait un outil de solution au problème de l'expression du désir sexuel féminin. Dans ce contexte, l'objectif de la démarche thérapeutique reposerait sur la reconnaissance du statut d'objet sexuel qui serait dévolu à la femme et à la stimulation de son statut d'être sexuel. Pour exprimer une intention réelle et non un vouloir superficiel, elles devraient résoudre l'opposition entre subjectif et objectif en ce qui concerne leur identité. En favorisant chez les femmes l'émergence de leur être sexuel, nous croyons que nous favoriserons aussi l'expression de leur désir sexuel.
De plus, nous reconnaissons l'existence d'avantages et de bénéfices pour les femmes quant à la définition de leur désir sexuel par l'homme. En ce sens, nous estimons primordial que les femmes prennent conscience de ces avantages et de ces bénéfices. Pour ce faire, il importerait, qu'à l'intérieur de la démarche thérapeutique, la femme soit amenée à se questionner et à se positionner face à eux. Elle devrait les reconnaître afin d'en faire le deuil pour qu'émerge et s'épanouisse son propre désir sexuel.
Entre l'amour et la sexualité, nous croyons que les femmes ne devraient pas avoir à choisir et ne devraient pas y être limitées. Pour nous, l'amour serait un élément qui pourrait faire partie de l'expression du désir sexuel des femmes, mais il n'aurait pas à être un élément restrictif et limitatif de celui-ci. Nous pensons que le mariage de l'amour au désir sexuel des femmes rétrécirait leur désir sexuel et contribuerait à leur envoyer deux images opposées de femmes par rapport à leur désir sexuel. Par le dépassement de l'aspect limitatif de l'amour, nous croyons que les femmes seraient en mesure d'exprimer autrement leur désir sexuel. Elles pourraient se permettre d'être actives, enjouées, rieuses et tristes dans l'expression de leur désir sexuel. Elles pourraient créer une image de femme sexuelle qui leur conviendrait et qui se situerait quelque part entre les deux extrêmes qu'elles connaissent déjà.
D'autre part, nous croyons qu'il serait fondamental que les femmes prennent conscience de leur rôle dans le processus de sexualisation de leur corps et de socialisation. Chacune devrait pouvoir reconnaître où se situerait sa propre participation dans ces processus qui agiraient sur elles. Elles devraient situer leur participation en identifiant leurs négociations constantes avec les limites établies. Ainsi, nous estimons que la reconnaissance de leur participation contribuerait à la réappropriation de leur pouvoir, soit de leur pouvoir de changement. Il importerait donc de cultiver ce pouvoir.
En dernier lieu, nous pensons que de situer le problème du manque de désir sexuel des femmes uniquement en terme de problème personnel, constituerait une non-reconnaissance de l'influence et de l'impact des facteurs sexistes sur les femmes. Ce faisant, la femme serait reconnue seule responsable de son problème et se culpabiliserait de ne pouvoir y mettre fin. Nous pensons que le problème de manque de désir sexuel des femmes ne pourrait être définitivement résolu tant que ne serait pas reconnu le fait que celui-ci se situerait dans un contexte social où la sexualité féminine susciterait un malaise collectif. Il serait primordial de reconnaître que le problème dans l'expression du désir sexuel des femmes serait un problème personnel et un problème social. La sexualité féminine serait entourée d'un mécanisme social qui entraverait l'expression pleine et entière du désir sexuel des femmes.
Nous croyons qu'il serait aussi important d'intégrer les hommes au changement social nécessaire afin que l'expression de la sexualité féminine ne suscite plus de malaise collectif. Pour ce faire, nous pensons que les hommes devraient reconnaître les avantages et les bénéfices qu'ils retireraient de la définition présente du désir sexuel féminin. Ils devraient aussi reconnaître que cette définition comporte également des désavantages pour eux et qu'ils gagneraient des bénéfices à redonner aux femmes le droit à leur propre définition de leur désir sexuel et de son expression.
Nous sommes d'avis que la sexologue aurait un rôle essentiel à jouer dans le processus amenant les femmes à définir elles-mêmes leur désir sexuel. D'une part, son rôle consisterait à encourager et à soutenir le cheminement des femmes quant à l'expression de leur désir sexuel. D'autre part, en tant qu'agente de changement social, la sexologue aurait aussi comme rôle de sensibiliser ses collègues à l'influence et à l'impact des facteurs sexistes sur la sexualité féminine. Ceci afin que se manifeste l'expression épanouie et libre du désir sexuel des femmes.
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