La grossesse serait un événement dans la vie d'une femme qui semble être propice à certaines prises de conscience qui jusqu'alors n'auraient pas eu lieu. Une de celles-ci serait la prise de conscience d'avoir deux identités en elle. En effet, au cours de la grossesse, la femme verrait son identité se transformer à mesure que l'enfant grandit en elle. Une autre prise de conscience qu'amènerait la grossesse serait celle d'être une mère en plus d'être une femme. Ces deux identités semblent être difficiles à concilier sans devoir en sacrifier une. Cette difficulté, qui entraverait l'expression du désir sexuel de la femme, serait accentuée par la valorisation de l'identité de mère au détriment de l'identité de femme.
Dans son ouvrage portant sur la sexualité et l'enfantement, Saunders fait état d'une dualité qui existerait chez la femme au moment de la grossesse. Son "je" serait de plus en plus modifié à mesure qu'une autre identité se formerait à l'intérieur d'elle-même. La femme serait à la fois elle-même et l'autre: "The woman no longer has a separate, knowable identity. She is both herself and more than herself, other than herself. She is never alone. " [Lesley Saunders, "Sex and Child Birth", In Sex and Love: New Thoughts on Old Contradictions, sous la dir. de Sue Cartledge et Joanna Ryan, London, Women's Press, 1984, p. 92.]
N'ayant pas son équivalence chez l'homme, cette dualité semble se vivre de l'intérieur. L'espace de quelques mois, la femme ne serait plus seule avec elle-même et partagerait son intérieur avec une autre personne. Parmi nos données, nous retrouvons une autre dualité au niveau de l'identité chez la femme, soit femme et mère. Se retrouver seule avec elle-même et face à l'autre qui l'aurait habitée quotidiennement quelques temps amènerait chez la femme une prise de conscience d'elle-même.
Seule France soulève cette dualité qui aurait des répercussions bien au-delà de l'accouchement. Cette dualité amènerait une période de remise en question chez la femme: "Fait que c'est tout plein de remises en question, tout le temps, tout le temps." (sic) (2-11) Cette remise en question serait reliée à la prise de conscience de son identité de mère et du rôle maternel qui semble lui être rattaché.
C'est que tes orientations, ta façon de vivre, ton comportement euh... veux, veux pas tu le centres un peu sur ton enfant. Quelqu'un qui dépend de toi 24 heures par jour, c'est une méchante responsabilité là. Ça je l'ai réalisé quand je m'en venais avec mon bébé en auto. Là j'ai réalisé que là oui... je l'avais 24 heures par jour. Fait que tsé, ta vie n'est plus la même. (sic) (2-50)
France considère qu'elle fut une adolescente jusqu'au jour où elle fut enceinte: "Euh, je pense que j'ai été une adolescente jusqu'à 25 ans moi. Mais une grande adolescente là." (sic) (2-51) Devenir mère ferait, selon elle, évoluer les femmes. Tout comme au niveau de la mort, elle semble être d'avis que le fait de devenir mère aurait le pouvoir de changer une vie: "Le mariage ça change pas une vie. O.k. la mort peut changer une vie. Y'a ben des choses comme ça que veux, veux pas, un moment donné t'évolues. Je pense qu'il y a des tranches dans ta vie où t'évolues. Pis quand tu deviens mère, t'évolues vite, ah oui." (sic) (2-50)
Après l'accouchement, le corps de la femme se remettrait des transformations qu'il aurait subies. Au niveau de l'identité, l'heure serait à la constatation d'être plus qu'une femme. La femme deviendrait une mère. Son identité personnelle serait bousculée par la venue de l'enfant. France souligne que la mère n'aurait pas remplacé la femme, mais qu'elle se serait ajoutée à cette dernière: "Après ça tu te dis "ben là je suis une mère là. Moi je suis une femme aussi tsé."" (sic) (2-10) Dans une même journée, la femme et la mère alterneraient leur présence: "Il y avait des moments dans la journée où j'étais une mère, pis il y avait d'autres moments où j'étais une femme tsé." (sic) (2-10) Irigaray souligne cette lutte entre deux identités. Affirmant que l'institution de la maternité forcerait la femme à choisir entre ces deux identités, elle signale qu'il ne serait pas demandé aux pères le même renoncement. Et tout comme France semble le faire, Irigaray insiste sur l'importance de ne pas faire de choix.
Je crois qu'il importe que nous refusions de nous soumettre à une fonction abstraite de reproduction et à un rôle social désobjectivé: le rôle social maternel désobjectivé, commandé par un certain ordre, soumis à la division du travail - producteur/reproductrice - qui nous enferme dans une simple fonction. A-t-on jamais demandé aux pères de renoncer à être des hommes? Nous n'avons pas à renoncer à être des femmes pour être des mères. [Luce Irigaray, Le corps-à-corps avec la mère, Montréal, La Pleine Lune, 1981, p. 27.]
Les relations de France avec son conjoint auraient littéralement changé suite à la venue de leur enfant. France aurait eu le sentiment de plus rien valoir à ses yeux: "Ben c'est qu'à partir de ce moment-là, j'étais plus rien pour lui." (sic) (2-10) L'accusant d'être devenue frigide, elle semble considérer que son conjoint ait voulu la punir de ne pas avoir le même désir sexuel en devenant éjaculateur précoce: "Fait que, à partir de ce moment-là, lui est devenu précoce parce que ça lui tentait." (sic) (2-11) "Je pense qu'il a voulu se dire dans sa tête "ben tu veux me punir, je vais te punir moi aussi"." (sic) (2-12) Maintenant séparée de son conjoint, France profiterait au maximum de sa solitude. Elle prendrait ce temps pour se retrouver elle-même. Quoiqu'elle n'ait pas de relations sexuelles, elle demeurerait une femme à ses propres yeux: "Je suis une femme pareil. Y'a juste l'amante qui est plus là. Je suis une femme pareil même si j'ai pas d'homme dans ma vie. Pis je pense que je suis encore plus une femme." (sic) (2-64)
Tout comme Saunders l'avance, nous croyons que la femme vivrait une dualité dans son identité lors de sa grossesse. Nous considérons qu'elle vivrait aussi une dualité dans son identité, différente de celle vécue lors de la grossesse, suite à l'accouchement. Nous estimons que la femme aurait à se retrouver elle-même après la venue de l'enfant. De par la valorisation du rôle maternel par la société, nous croyons qu'il serait rendu difficile à la femme de faire place à la femme en elle, voire à son désir sexuel, tout en restant une mère. De plus, nous croyons que l'expression de son désir sexuel serait davantage entravée par cette valorisation du rôle maternel que par la maternité elle-même. Contrairement à ce que semble laisser croire certaines auteures féministes telles que Cixous et Clément, ainsi que Leclerc, en tentant de spécifier le féminin par le maternel, nous sommes d'avis que la femme n'aurait pas à être sa propre mère. Elle serait femme pour elle-même et mère pour l'enfant qu'elle a conçu. Dans le prochain article, nous verrons les conséquences de la maternité sur le corps des femmes.